Alain Breyer

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En attendant son Tour de France

La littérature sportive a plutôt pour habitude de célébrer les champions au travers des exploits qui forgent leur légende.
Et dans ce domaine, le cyclisme en général et le Tour de France en particulier ont toujours constitué une foisonnante et formidable source d’inspiration.
Mais si, chacun le sait, le Tour  c’est d’abord et avant tout le plus grand événement sportif planétaire annuel, c’est aussi cette extraordinaire fête populaire  qui rassemble sur son passage et captive un public de plus de 10 millions de personnes.
Et  c’est là toute la singularité de cet ouvrage .
Car ici, ce n’est pas sur la route que ça se passe. Mais plutôt sur le bord de la route.
Non pas au cœur du spectacle. Mais au cœur des spectateurs.
C’est à leur rencontre que nous emmène Alain Breyer.
Au fil des kilomètres, en pleine campagne ou au passage d’un village, l’objectif de son
appareil musarde et nous offre une étonnante galerie de portraits.
Petits et grands, jeunes et moins jeunes, supporters de tel ou tel, de vrais fanas du vélo ou d’autres venus tout bonnement, comme l’on dit, voir passer les coureurs, c’est en quelque sorte la grande famille de la France du Tour qu’Alain Breyer nous donne à voir.

Christian Prudhomme

ET ...

Depuis sa lointaine création, le Tour de France a toujours suscité de l’épique et du littéraire. Louis Malle l’a filmé en seize millimètres sous le règne éclairé de  Jacques Anquetil,   Blondin l’a magnifié de sa veine poétique dans L’Equipe ou sa prose inspirée était là pour nous rappeler que le Tour est mieux qu’un évènement sportif : une immense fresque sociale ou les générations se confondent dans un élan identitaire et un savoir partagé. S’il continue de fasciner, en dépit des affaires de dopage qui l’affectent dans sa portée onirique, c’est parce qu’il échappe à toute réalité, que le présent et le passé s’y conjuguent sans heurts,    car chaque Tour nous renvoie aux étés de nos quinze ans, aux Tours de France d’antan, quand le soleil nous semblait plus chaud, plus brûlant qu’aujourd’hui. C’est cet effet miroir, qui transparaît dans ces instantanés volontairement dépouillés d’Alain Breyer. Mais il ne faut pas s’y tromper : ce qu’il photographie ce n’est pas l’attente, la lente approche du Tour, c’est les temps, ces heurs inertes et vides, libérés de toute astreinte, qui réunissent sur le haut des talus cette France d’en bas trop souvent délaissée par les grands flux de l’actualité. En liberté sur le tansad de sa moto, Breyer nous emmène sans rien brusquer à la rencontre de ces anonymes en relâche, comme surgis de nulle part, qui se débraillent au passage de la course, dans le rappel contingent de leur jeunesse car seraient-ils aussi nombreux si le Tour au fond, ne leur racontait pas leur histoire ?
Leurs enchantements, leurs engouements passés ? 
Si le Tour ne venait pas leur rappeler incidemment, à brûle pour point, dans un relent de nostalgie, des souvenirs diffus, des noms oubliés, de coureurs ou de lieux, autant de détails insignifiants, ignorés de la chronique, mais si prégnants dans leur mémoire.
Oui tous ces gens sont là aussi pour se souvenir.
De la fuite du temps.
Comme moi je me souviens...

Je me souviens que Jacques Goddet portait une tenue coloniale qui lui donnait un petit air à la David Niven.

Je me souviens que Jacques Anquetil portait sa montre au poignet droit.

Je me souviens des initiales HD sur le Maillot Jaune, HD pour Henri Desgrange, le nom du créateur de l’épreuve.

Je me souviens que le maillot Jaune est jaune parce que le journal organisateur l’Auto était imprimé sur du papier jaune.

Je me souviens que les coureurs d’avant-guerre nouaient des boyaux autour de leurs épaules et qu’en haut des cols, ils se préservaient du froid avec du papier journal.

Je me souviens que Robic mettait du plomb dans son bidon pour aller plus vite dans les descentes.

Je me souviens d’une photo de Koblet regardant sa montre à l’arrivée d’Agen.

Je me souviens que Bartali a gagné le Tour a dix ans d’intervalle.

Je me souviens que Dalida s’était déguisée en homme pour suivre deux étapes dans la voiture de Blondin, à une époque ou les femmes étaient interdites dans la caravane.

Je me souviens qu’en 1967 dans le Ventoux, Simpson était mort au soleil ou il voulait se faire une place.

Je me souviens que le public disait « Poupou » pour parler de Poulidor.

Je me souviens qu’on disait les deux K pour évoquer les deux champions suisses, Kubler et Koblet.

Je me souviens qu’Hugo Koblet avait été baptisé le pédaleur de charme par le chansonnier Jacques Grello ;

Je me souviens des grandes voix de la radio, de Fernand Choisel, Emile Toulouse, Luc Varenne, Jean-Paul Brouchon, Bernard Roseau et Guy Kedia.

Je me souviens que l’Italien De Pra maillot jaune en 1966 était le sosie de Johnny Hallyday.

Je me souviens que Goddet dans un éditorial avait traité Anquetil de Nain Jaune.

Je me souviens d’une longue échappée de Roger Pingeon en 1967 dans l’étape de Jambes.

Je me souviens d’Herman Van Springel en pleurs, en 1968, sur la piste de la Cipale après que Jan Janssen lui eut ravi le maillot jaune pour une poignée de secondes.

Je me souviens qu’on surnommait Franco Bitossi, le « coureur au cœur fou. »

Je me souviens que l’avènement d’Eddy Merckx a coïncidé en juillet 1969, avec les premiers pas de l’homme sur la lune.

Je me souviens qu’en 1975, les coureurs étaient ravitaillés par Unico.

Je me souviens qu’un spectateur, un Dupond-la-joie a frappé Eddy Merckx dans la montée du Puy de Dôme.

Je me souviens du vélo bleu de Felice Gimondi, et de la marque Chiorda.

Je me souviens que Raymond Delisle a remporté l’étape du 14 juillet en 1969, après avoir reçu une gifle de son leader Roger Pingeon.

Je me souviens des boyaux rouges de Rik Van Looy.

Je me souviens des articles de Pierre Chany, de la voix chaude de Robert Chapatte.

Je me souviens de Fred De Bruyne et de Theo Matthy.

Je me souviens que c’est un coureur de l’équipe Peugeot, Christian Raymond qui a baptisé Merckx « Le Cannibale ».

Je me souviens de CeesHaast, Julio Jimenez, Jean-Claude Theilliere, de Gianni Motta, Guido Reybroeck, Bernard Van de Kerkhove et Martin Van Den Bossche.

Je me souviens qu’Yves Hezard tirait la langue en plein effort.

Je me souviens de la publicité Virlux sur le Maillot Jaune.

Je me souviens qu’Ocana, Merckx, Thévenet, Delgado portaient le dossard 51 quand ils ont gagné le Tour, et que Blondin s’amusait à boire cinquante et un 51.

Je me souviens de Pollentier, pris en flagrant délit de tricherie à l’Alpe d’Huez.

Je me souviens qu’Anquetil roulait en Ford Mustang et que sa femme, Janine, avait la blondeur platine de Martine Carol.

Je me souviens que Poulidor finissait toujours deuxième mais très rarement dans un état second.

Je me souviens que le Danois Ole Ritter qui a fait chuter Merckx avant le départ de Valloire, en 1975.

Je me souviens que le Néerlandais Gerrit Knetmann avait refusé par superstition le dossard 13 et que Bernard Thevenet ne portait jamais de gants verts.

Je me souviens qu’Henri Pelissier disait qu’un coureur à lunettes ne pourrait jamais gagner le Tour en foi de quoi, Janssen et Fignon l’ont gagné l’un et l’autre.

Je me souviens de Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, épaule contre épaule, dans l’ascension du Puy de Dôme.

Je me souviens des voitures rouges du journal L’Equipe.

Je me souviens du maillot à damiers Peugeot, de la couleur havane du maillot Molteni.

Je me souviens que c’est Michel Seassau, journaliste à l’Equipe, qui a le premier parlé de « Merckxisme » en évoquant le règne d’Eddy Merckx.

Je me souviens qu’on critiquait Anquetil quand il ne gagnait pas et Merckx, parce qu’il gagnait toujours.

Je me souviens que les bidons furent tour à tour sponsorisés par Contrexéville, Vittel et Evian.

Je me souviens que Matignon était lanterne rouge quand il a gagné au Puy de Dôme.

Je me souviens que Bernard Hinault se faisait surnommer le Blaireau.

Je me souviens que dans les années 80, les enfants portaient un bandeau dans les cheveux pour se faire un look à la Fignon.

Je me souviens de Fignon, affalé sur les pavés des Champs-Elysées et comme d’une éternité de ses huit secondes perdues face à Lemond.

Je me souviens d’Armstrong et de son regard d’iguane.

Je me souviens de Marco Pantani comme d’une ultime réminiscence des héros d’autrefois.

Philippe Brunel

Photographies prises sur Nikon D200 et D300